Avant l'assemblage d'un meuble, au fils des années, la collecte c'est faite.
C'était une attente. Il fallait aussi démonter, ranger ce fatras de fer et de bois, réduire le volume.
J'ai trouvé tout cela parce que c'est abimé, les caisses sont encombrantes et noircies, les lettres sont parfois effacées, le bois attaqué, le métal rouillé.
Cela décourage les collectionneurs. Se sont des objets endommagés, personne les recherche. Tous ces fragments sont une mouvance de signes. J'en suis imprégné. C'est une accumulation à interpréter, à mettre en scène.

Quand je suis prêt je cherche dans tous les coins de l'atelier et j'étale, le stock s'ouvre et j'ai la sensation de profusion, de foisonnement.
Je fais un meuble aussi pour cette impression là.
J'ai des boites, des caisses en bon état, elles seront le centre de l'ouvrage.
Et l'étendue du stock, le grand choix d'éléments donne la souplesse, la cohésion.
Je prépare l'assemblage en recouvrement d'un volume solide. Actuellement, je classe tout ce qui va parler d'épicerie.
Le déploiement nécessaire à cette réalisation proposera d'autres opportunités.
Avec les gestes, les heures de travail lentes et simples se projettera au delà de l'oeuvre en cours une pensée neuve.
Dans cet espoir, je peux aussi faire des petites réalisations pour rester en attente active.

J'aime ce déploiement visuel, c'est une retrouvaille. J'ai peu de place et tout était tassé et caché. Là, cela s'étend sur le sol de presque toute la maison. Je revois ces "reliques", je les questionne et je les écoute. Elles donnent la dernière orientation. Il s'agira souvent d'un nom sur le bois: Lors d'un projet antérieur, j'avais repéré 23 fois le mot BEZIERS sur des caisses d'anciennes entreprises. Ces 23 BEZIERS sont devenus le centre d'un travail suivant, une armoire évoquant mes marches dans les rues de ma ville.

J'avais procédé ainsi pour LA LIVREUSE DE CHOCOLAT, tout étendre, choisir les planches de caisse marquées CHOCOLAT, j'ai eu sur le sol l'étendue de la face forte du meuble, la largeur, la hauteur: 7 mètres.
Et j'ai gardé une réserve de planches, pour la possibilité de monter encore.
Cette réserve c'est de l'espoir. Espoir d'exposer dans une grande ville et occasion d'agrandir encore pour ce jour là. Dans un grand lieu, 6 ou 8 mètres de haut c'est bien.

Cette réserve, c'est pour faire face à l'incertitude du moment où j'arrête une oeuvre. Arrêter, c'est une action située, une décision. Pourtant, souvent j'ai repris des oeuvres anciennes et apporté de la sonorité, des surprises. Cette possibilité d'avancer à nouveau est le réveil du camp de pensée qui entoure l'oeuvre. J'ai deux grands meubles qui peuvent êtres complétés, organisés ou décorés sur leurs faces intérieures, comme l'étaient les armoires retables, les cabinets de curiosités.

Au final, le premier abord est ludique, coloré, les surprises donnent au thème un ton joyeux.
Et mes visiteurs le voient bien et me le disent. Ce qu'ils ne voient pas, ou ce qu'ils voient moins vite dans l'effacement des caractères, les taches, l'usure, la fragilité, les trous des insectes, c'est la mélancolie.
Mais peut-être la voient-ils et ne le disent pas.
Faite de signes porteurs de nostalgie, l'oeuvre terminée sera à la fois nouvelle et ancienne.
Elle vient d'avant, d'un ailleurs collectif. Elle place sa réalité particulière entre la réalité générale et moi.
Elle me donne sa distance.
Mais mon stock de fragments, vieux de 40 à 60 ans, est irremplaçable, il s'épuise, alors je l'épargne si je peux.
Je pense à quelques réalisations à venir, pour ce qu'il me reste de temps et d'idées.

Alain Fornells